C’était l'une des premières découvertes de l’année 2022 pour l’ASAPE 14-18… Cette fois ci - à même la surface - et non dans les profondeurs du sous-sol calcaire de l’Oise.
Signalée par un cultivateur, nous sommes intervenus pour la préservation d’une étrange plaque de fer remontée en surface, suite aux labours d’hiver.
Le décapage de la rouille par nos restaurateurs laisse apparaître des rivets, des axes de fixation et quelques impacts dus à des projectiles. Des traces de couleur verte, bien significatives de l’armée allemande sont également visibles sur des zones épargnées par la rouille. A ce stade, tout nous laisse à penser qu’il s’agit d’une plaque de blindage unique en son genre.
Une analyse minutieuse dans la documentation militaire allemande nous le confirmera par la suite.
L’ASAPE 14-18 replace alors cette découverte dans le contexte de l’organisation allemande du secteur lors de la Grande Guerre.
Les nombreuses traces rupestres découvertes à proximité du site, mentionnent les numéros des 𝗙eld 𝗔rtillerie 𝗥égiment (Régiment d’Artillerie de Campagne. Une ancienne carrière d’extraction de pierres souterraine est d’ailleurs baptisée par les Allemands « 𝕬𝖗𝖙𝖎𝖑𝖑𝖊𝖗𝖎𝖊 𝕳𝖔̈𝖍𝖑𝖊» (𝘊𝘢𝘳𝘳𝘪𝘦̀𝘳𝘦 𝘥𝘦 𝘭’𝘢𝘳𝘵𝘪𝘭𝘭𝘦𝘳𝘪𝘦).
Nos recherches révèlent que l’artillerie allemande y était bien stationnée de début Septembre 1914 à la mi-Mars 1917 ainsi que de Juin à Août 1918, lors de l’offensive dite « du printemps » ou « 𝘒𝘢𝘪𝘴𝘦𝘳𝘴𝘤𝘩𝘭𝘢𝘤𝘩𝘵 ». Nos recherches se portent alors sur le matériel d’artillerie allemande.
Après avoir étudié de nombreux documents, schémas et photographies, nous trouvons notre réponse dans un livre allemand édité en 1913 : "𝐴𝑛ℎ𝑎𝑛𝑔 𝑧𝑢𝑚 𝐸𝑥𝑒𝑟𝑧𝑖𝑒𝑟-𝑅𝑒𝑔𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑓𝑢̈𝑟 𝑑𝑖𝑒 𝐹𝑒𝑙𝑑𝑎𝑟𝑡𝑖𝑙𝑙𝑒𝑟" (Annexe au règlement d'exercice pour l'artillerie de campagne). En analysant la composition d’une batterie (composée alors, en début de guerre, de 6 canons), nous découvrons l’existence d'une « voiture d'observatoire » ayant pour finalité l'installation d'un observatoire mobile. Chaque batterie avait alors sa propre voiture d’observation - soit 1 observatoire par groupe de 6 canons. Un système similaire semble exister également dans l’armée française et belge…
Sur les croquis d’époque, nous repérons notre plaque de blindage légère ! Elle correspond - en tout point - au vestige découvert par l’ASAPE 1418. Elle est juste pliée en son centre, sûrement à la suite des nombreux labours. Cette plaque se trouvait - à l’époque - à l’extrémité d’une échelle mobile de 2,50 m, permettant à l’observateur d’avoir un point de vue « élevé » et direct sur l’ennemi. La plaque découverte était censée permettre à l’observateur d’être à l’abri d’un tir ou d’éclats.
Cet ensemble peut se monter sur la voiture elle-même, permettant de gagner une hauteur supplémentaire d’1m50, soit 4m au total. Lorsque la voiture d’observation est située sur un point culminant, l’ensemble de l’observatoire mobile peut être installé à hauteur d’homme (sans échelle), comme le montrent certaines illustrations et photographies d’époque. Cette plaque comporte différentes charnières, afin d’y adapter des lunettes d’artillerie permettant les calculs des coordonnées. En 1914, le modèle le plus courant est les jumelles binoculaires de la marque C.P. GOERZ, modèle SF09.
C’est donc un vestige rare, du fait que ces observatoires mobiles n’ont trouvé leur utilité que dans les premiers mois de la Grande Guerre. La fixation du front ayant raison de leur utilisation.
En effet, dès la fin de guerre de mouvement, ces observatoires mobiles furent remplacés par des postes fixes comme ceux encore observés aujourd’hui dans les arbres observatoires ou bien encore des ballons captifs et bien sûr, l’aviation.
Les techniques de tirs et de communication évoluant, les observateurs artillerie sont de plus en plus éloignés des batteries de tirs et communiquent leurs ordres par téléphone. En 1914 l’observateur - un officier formé à cette tâche bien précise - devait se situer impérativement à proximité des canonniers afin d’ajuster les tirs et communiquer ses ordres à l’aide de fanions ! D’où la nécessité d’un poste d’observation mobile à proximité immédiate.
Ces éléments historiques au sujet des observatoires mobiles nous permettent d’affirmer que leurs utilisations - sur notre secteur - n’ont pu avoir lieu qu’au cours du mois de septembre 1914, juste avant la fixation du front (Octobre 1914).
Le FAR 24 (𝐻𝑜𝑙𝑠𝑡𝑒𝑖𝑛𝑖𝑠𝑐ℎ𝑒𝑠 𝐹𝑒𝑙𝑑-𝐴𝑟𝑡𝑖𝑙𝑙𝑒𝑟𝑖𝑒-𝑅𝑒𝑔𝑖𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑁𝑟. 24) est identifié comme régiment d’artillerie de campagne ayant occupé cette position à l’endroit même où l’ASAPE a effectué cette découverte.
Officiellement et toujours - d’après les historiques - ce régiment arrive à cette position au soir du 12 Septembre 1914. Il est en appui des combats d’infanterie intenses, menés sur le secteur par L’IR75, L’IR76.
Chacune de leurs 6 batteries est alors équipée de 6 canons de type « 77𝑚𝑚 𝐹𝐾 96 𝑛.𝐴. » (n.A., neuer Art : nouveau modèle). En théorie, ces canons peuvent atteindre une cible à 8400m, cependant l’obus étant de faible poids, il était très difficile de contrôler l’effet des tirs à longue distance. L’utilisation courante veut donc que le 77mm FK96 n.A ne soit utilisé que pour des tirs inférieurs à 5000m.
Après avoir traversé la rivière Aisne à Attichy (60350), l’infanterie et l’artillerie allemande, notamment le FAR24 prend la direction du Nord, vers le village de Nampcel (60400) D’après les historiques allemands, cette avancée vers le Nord se déroule en milieu d’après-midi du 12 Septembre 1914. Bien que le plus gros des effectifs ait effectué ce mouvement à cette date, les Allemands sont déjà - depuis plus de 10 jours - bien plus loin que la plupart des historiques le prétendent.
Ils sont signalés, par des habitants de Moulin-Sous-Touvent et Puiseux, depuis le 1er Septembre au soir, dans les fermes situées à quelques centaines de mètres du lieu de découverte de ce bouclier d’artillerie.
C’est un incident relaté dans l’historique du FAR24, en milieu d’après-midi du 12 septembre qui permet aux membres de l’ASAPE de comprendre la provenance de cette plaque d’observatoire d’artillerie… Les faits se déroulent pourtant à 6 kms (à vol d’oiseau) du lieu de la découverte de cette plaque d’observatoire d’artillerie…
Rappelons qu’ « 𝑜𝑓𝑓𝑖𝑐𝑖𝑒𝑙𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 » ce n’est qu’au soir du 12 septembre et sous une pluie battante que le gros de la troupe allemande atteindra le lieu de notre découverte…
Nous apprenons ainsi que la batterie N°5 du FAR 24 reçoit un obus de gros calibre sur sa voiture observatoire dans laquelle le 𝑯𝒂𝒖𝒑𝒕𝒎𝒂𝒏𝒏 𝑼𝑳𝑬𝑿 est à sa position d’observateur, derrière sa plaque de blindage... Il est touché violemment par un éclat et se retrouve éjecté de son poste. Des servants se trouvant à proximité dans des trous creusés à même la terre, sortent immédiatement pour lui porter secours. Mais les blessures sont telles que sa jambe devra être amputée par la suite. Il sera aperçu en milieu d’après-midi par les hommes de l’infanterie (IR75) alors en stationnement à Bitry dans un attelage cherchant un poste de secours. - Ce détail a toute son importance pour la suite de l’histoire -
Notons que dans cet historique - plutôt bien détaillé- il n’est fait mention que d’une seule voiture observatoire touchée sur notre secteur et a cette période : la N°5
Plus curieux encore, les incohérences relevées entre l’historique de l’infanterie (IR75) et celui de l’artillerie (FAR24) … Le premier affirme que cette 5 ème batterie est en train de brûler sur la commune de Bitry alors que le second évoque la destruction de la voiture observatoire par un obus français de gros calibre.
Des lors, il est légitime de penser que les hommes de l’infanterie, confondent les batteries… Cette hypothèse est appuyée à la lecture des registres des morts allemands qui mentionnent de lourdes pertes sur cette commune pour différentes batteries du FAR 24… Sauf la numéro 5…
La confusion naît d’un concours de circonstances. Lorsque des officiers de l’infanterie IR75 observent une batterie en train de brûler sur les hauteurs de Bitry et voient justement passer devant eux, un attelage transportant le 𝑯𝒂𝒖𝒑𝒕𝒎𝒂𝒏𝒏 𝑼𝑳𝑬𝑿 grièvement blessé. Le raccourci est alors fait… La batterie en feu et détruite sous leurs yeux est celle d’𝑼𝑳𝑬𝑿, la numéro 5 du FAR 24.
𝗤𝘂𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗲́𝘁𝗮𝗶𝘁 𝗹𝗮 𝘃𝗲́𝗿𝗶𝘁𝗮𝗯𝗹𝗲 𝗽𝗼𝘀𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲 𝗰𝗲𝘁𝘁𝗲 𝗯𝗮𝘁𝘁𝗲𝗿𝗶𝗲 ?
Le mystère s’éclaircit toutefois, quand nous apprenons qu’un atterrissage de 4 aéroplanes allemands a eu lieu dans la journée du 10 Septembre 1914 et cela, à quelques centaines de mètres du lieu de notre découverte.
Compte tenu de l’utilisation de l’aviation en début de guerre (𝐿𝑎 𝑟𝑒𝑐𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑐𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑔𝑢𝑖𝑑𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑡𝑖𝑟𝑠 𝑑’𝑎𝑟𝑡𝑖𝑙𝑙𝑒𝑟𝑖𝑒), nous supposons que ces aéroplanes se sont posés ici pour communiquer des informations aux canonniers allemands.
Des lors, la présence d’un groupe d’artillerie sur le lieu de notre découverte dès le 10 Septembre ne fait aucun doute et cela, malgré le silence des historiques allemands à ce sujet.
Au contraire, ils présentent les canonniers du FAR 24, comme « 𝑙𝑒 𝑑𝑒𝑟𝑛𝑖𝑒𝑟 𝑟𝑒𝑚𝑝𝑎𝑟𝑡 » contre les poursuivants français, bien en arrière de la troupe - pour protéger héroïquement leurs camarades de l’infanterie.
Nous savons que le 12 Septembre à 12h30 précise, ordre est donné aux artilleurs Français d’ouvrir le feu sur des positions d’arrière ligne allemande…
Coïncidence étrange 𝑀𝑚𝑒 𝑇ℎ𝑒́𝑟𝑒̀𝑠𝑒 𝐷𝐴𝑁𝑅𝐸, propriétaire d’une ferme située à proximité du lieu de notre découverte, relate dans ses mémoires que des Allemands sont justement venus à cette date précise, le 12 Septembre 1914 vers 13h00, réquisitionner un attelage et un cheval dans sa propriété…
Au vu de l’horaire, des témoignages civils et militaires, le doute n’est donc plus possible : Ces soldats allemands sont venus chercher un attelage dans cette ferme pour convoyer dans l’urgence vers un poste de soins, le 𝑯𝒂𝒖𝒑𝒕𝒎𝒂𝒏𝒏 𝑼𝑳𝑬𝑿 qui vient d’être touché à son poste d’observateur par les tirs d’artillerie français. C’est ainsi qu’1h30 plus tard - en milieu d’après-midi - il est bien aperçu par des officiers de l’Infanterie dans un attelage civil sur la commune de Bitry. Le temps de parcours en véhicule hippomobile entre le lieu de l’accident de Nampcel et la commune de Bitry correspond parfaitement : (8.8𝑘𝑚𝑠 𝑝𝑎𝑟 𝑙𝑎 𝑟𝑜𝑢𝑡𝑒, 𝑠𝑜𝑖𝑡 1ℎ30 𝑒𝑛 𝑎𝑡𝑡𝑒𝑙𝑎𝑔𝑒)
Ainsi, les faits relatés dans l’Historique du FAR24 sont erronés. L’observatoire touché ne se trouvait pas sous le feu des Français en train de protéger le gros de l’infanterie sur la Commune de BITRY, mais sur la commune de NAMPCEL et cela, bien en arrière de sa position officielle...
Comme beaucoup d’autres historiques allemands, écrits quelques années après la guerre, (En 1922 pour celui du FAR24) certains faits sont volontairement cachés, voire modifiés, dans le but d’enjoliver les faits d’armes du régiment.
De plus, au moment de la rédaction, le 𝑯𝒂𝒖𝒑𝒕𝒎𝒂𝒏𝒏 𝑼𝑳𝑬𝑿 est toujours en vie et poursuit une formidable carrière militaire. Alors, autant ne pas ternir sa réputation… (Choix judicieux de la part de l’auteur : 𝑼𝑳𝑬𝑿 deviendra Général d’Artillerie quelques années après…)
Pour l’Histoire, le 𝑯𝒂𝒖𝒑𝒕𝒎𝒂𝒏𝒏 𝑾𝒊𝒍𝒉𝒆𝒍𝒎 𝑼𝑳𝑬𝑿, originaire de Bremerhaven, réintégra le FAR24 dès l’automne 1915 avec une prothèse de jambe. Durant le premier conflit mondial, il reçut plusieurs décorations, entre autres les deux Croix de Fer ainsi que la Croix des Blessés. Après-guerre il est promu en 1931, au rang de Colonel, puis Général en 1935 et prend la tête du XI corps d’armée basé à Hanovre. En 1939 il est promu Général d’Artillerie et participe à l’invasion de la Pologne en Septembre de la même année. Aux côtés du Général Johannes BLASKOWITZ - tous deux de la Wehrmacht - ils s’opposent fermement et publiquement au traitement inhumain réservé aux polonais par la SS, les accusant « d’un manque incompréhensible de décence humaine ». Considéré par le régime Nazi comme « politiquement non fiable », il est immédiatement démis de ses fonctions. Il décédât en 1959.
Nous avons tenté de rechercher les descendants de 𝑾𝒊𝒍𝒉𝒆𝒍𝒎 𝑼𝑳𝑬𝑿, en prenant notamment contact avec la 𝐺𝑒𝑠𝑒𝑡𝑧𝑙𝑜𝑠𝑒 𝐺𝑒𝑠𝑒𝑙𝑙𝑠𝑐ℎ𝑎𝑓𝑡 𝑧𝑢 𝐵𝑒𝑟𝑙𝑖𝑛 qui est un club mondain dont les membres sont des personnalités éminentes de l'élite intellectuelle, artistique et militaire de leur époque respective, notamment 𝑾𝒊𝒍𝒉𝒆𝒍𝒎 𝑼𝑳𝑬𝑿 en 1953. Malheureusement le responsable actuel de ce « club », n’a pu que nous orienter vers sa région d’origine : Le Lande de Brème, (Bremen) précisant que le nom « 𝑼𝑳𝑬𝑿 » n’était pas courant…
Une famille 𝑼𝑳𝑬𝑿 est bien présente dans ce Land et plus précisément dans la ville de Lübeck. Malheureusement tous nos emails sont restés sans réponse…
Voici comment, l’ASAPE 1418, à partir d’une simple taule pliée qui - de toute évidence – allait inlassablement finir dans une déchetterie ou un ferrailleur, remonte à un capitaine (Hauptmann) allemand et qui se révélera être plus tard l’un des seuls généraux allemands en 1939 à s’opposer aux exactions des SS.
L’équipe ASAPE 14-18
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